main dans la main |
Depuis janvier 2017, publication de mon tout premier article sur le blog, je vous ai beaucoup parlé de moi, de mes sentiments, de ma vision de la maladie, de mes états d’âmes…
Aujourd’hui j’aimerai vous parler des autres, ceux qui vivent également la maladie, à nos côtés : on les appelle les Aidants. Bien sûr, ils ne vivent pas la maladie comme un malade, ils ne la ressentent pas de la même manière, ils ne souffrent pas de la même façon… Mais ils traversent une épreuve aussi.
Malheureusement, tout le monde n’a pas la chance d’être entouré, beaucoup trop de personnes traversent la maladie seules. Je vais donc m’inspirer de ma propre expérience, ou plutôt de celle de mes proches.
Cet article n’est pas facile à écrire pour moi. J’ai plus ou moins occupé cette place, plus jeune avec ma mère, mais aujourd’hui, après mon cancer, j’ai le regard d’une patiente, d’une malade sur ce rôle d’accompagnant. Il est plutôt compliqué pour moi et même pas tout à fait juste de m’exprimer à leur place. Au fond, tout comme ils ne savent pas comment j’ai vécu mon cancer (hormis tout ce que j’ai pu raconter dans mes écrits), je ne sais pas non plus comment, par exemple Mathieu ou mon père ont pu vivre Mon cancer et leurs places d’aidants…
Tout comme ils ne peuvent pas totalement comprendre ce que j’ai vécu, je peux seulement deviner leurs peurs, leurs angoisses, leurs inquiétudes ou leurs douleurs. Il est également difficile pour moi de les interroger à ce propos. Un sentiment de culpabilité m’envahit rapidement.
Je n’ai pas choisi d’avoir un cancer, et ils ne l’ont pas choisi non plus. Certains s’en vont mais d’autres font le choix de rester et de vous épauler. Seulement, pour le malade comme pour l’aidant, il est impossible au moment où ce choix se fait, de savoir tout ce que cela va impliquer. Personne ne nous explique la difficulté de la tâche. Et puis l’Amour donne de la force, ou au moins l’illusion d’en avoir assez pour tenir bon. Mais la maladie c’est long, très long… Et puis il y a l’Après…
L’annonce de la maladie est déjà ce qui, en quelques secondes, définira la place de l’Aidant sans qu’il en ait conscience. Par un simple, « je serai là » ou « On va vaincre cette m**** », « On va se battre ensemble ». J’imagine comment un père, une mère, une fille, un fils, un petit-fils, un conjoint, un ami… peut en même temps, être terrassé par une nouvelle aussi bouleversante et ensuite trouver la force de vous tendre la main pour vous aider à vous relever.
Ce moment où j’ai appris que j’étais malade, j’ai très vite pensé à mes proches, au fait que je n’avais pas envie de leur infliger cela, d’être responsable d’un changement brutal dans leur vie. Ce moment où on fait un saut dans le vide mais qu’on emporte avec nous tous ceux qui nous tendent la main à ce même instant.
Devenir l’aidant de quelqu’un, ce n’est pas seulement être présent le jour ou tombe le diagnostic, mais c’est être présent durant tout le long de la maladie, des traitements, et encore après… La maladie chamboule la vie à jamais, ce n’est pas juste une parenthèse, elle laisse une empreinte indélébile.
C’est aussi accepter que la maladie entre dans votre quotidien, en plus de votre travail, vos enfants, vos obligations… C’est accepter de donner beaucoup de temps, de patience et de force à l’autre.
Etre aidant c’est aussi mettre de côté ses propres douleurs, ses propres peines ou ennuies pour donner la priorité à ceux du malade. Cela contraint à s’oublier…
Il faut alors s’entourer. Ne pas vivre cela seul. Ne pas être le roc du malade coûte que coûte. Il faut pouvoir craquer, évacuer, se confier et compter à son tour sur quelqu’un. J’avoue ne pas savoir si Mathieu ou bien même mon père ont eu le soutien dont eux avaient besoin.
J’ai pour ma part, en tant que malade, essayé de rester à l’écoute de Mathieu, de le soutenir dans ses galères, dans ses peines, ne serait-ce qu’un peu... Mais il était difficile d’être toujours disponible, la maladie prend beaucoup trop de temps et d’énergie. La douleur empêche d’être à l’écoute de l’autre. Egoïstement mais malgré nous, on se renferme sur soi. On a tellement besoin de soutien, d’appui dans ce combat qu’il nous semble même presque injuste d’être sollicité.
J’ai par contre tout fait pour garder un maximum d’autonomie sur mes tâches du quotidien : ménage, cuisine, courses, paperasse administrative, etc. Cela me prenait plus de temps, je n’avais pas toujours l’énergie mais je le faisais à mon rythme. J’ai toujours eu du mal à demander l’aide des autres, non pas par fierté mais plutôt par besoin vital d’autonomie et ne pas avoir à dépendre des autres. C’était déjà compliqué pour moi d’accepter que dans cette épreuve j’allais avoir besoin d’aide et de soutien, alors ce que j’ai pu continuer à faire par moi-même, à maitriser, je l’ai fait. Ce n’est bien sûr pas possible pour tout le monde.
Il faut tenir la distance. Pour moi entre les chimios, les opérations et la radiothérapie, les traitements ont duré un an… pour d’autres cela est bien plus long. C’est un énorme sacrifice dans la vie d’un aidant que de se mettre en quatre pour l’autre, de prendre le relai, de gérer… durant tout ce temps.
Ce sont tous les rendez-vous à l’hôpital, chez les différents médecins. Accompagner les séances de chimios. Les allers-retours à la pharmacie. Les longues attentes durant les opérations.
Pour grand nombre, c’est aussi prendre le relais sur les tâches du quotidien.
Mon éternel roc |
Il faut être à la fois soutien moral quand celui du malade est au plus bas, être à l’écoute et avoir les bons mots au bon moment. Etre rassurant, protecteur et attentionné. Prendre sur soi lorsque les paroles deviennent plus dures et percutantes. La peur, la douleur et l’angoisse peuvent parfois faire dire des choses difficiles à entendre ou même blessantes…
Aussi, regarder l’autre souffrir, se plier de douleurs, alors se sentir impuissant, tout petit mais continuer tout de même à lui tenir la main. Avoir peur de perdre l’autre mais savoir la taire afin de ne pas alimenter ses angoisses.
Cette situation est longue et pénible autant pour le soutien que le soutenu… Il parait parfois impossible de tenir la tête hors de l’eau. Et pourtant il le faut.
J’imagine que l’annonce de « la fin », que ce soit la rémission tout comme la mort (malheureusement) résonne comme un soulagement pour l’Aidant. Un nouveau souffle…
Pourtant, même lorsque l'on se sort des griffes de la maladie, ce n’est pas encore terminé. Comme je l’ai souvent raconté, l’Après est une période très compliquée à vivre pour le malade. C’est le moment où il prend conscience de ce qu’il a vécu. Il se sent différent, affaiblit. Il a peur de la récidive, n’accepte pas la fatalité, se sent diminué et fait le constat de tout ce qu’il a perdu. Il y a aussi la fatigue et tout le lot d’effets secondaires à gérer, maitriser, accepter… Pour beaucoup, c’est le passage à des traitements oraux, durant des années et leurs conséquences…
C’est à ce moment-là que la place d’aidant est encore plus importante car il n’y a plus que lui. Le corps médical s’efface, d’un coup d’un seul et tout le monde referme bien vite la parenthèse… sauf le malade. J’ai moi, eu grand besoin de mon entourage à ce moment-là, et il a été plus difficile de le faire entendre, surtout lorsqu’on le chuchote ou qu’on attend des autres qu’ils le devinent. Je me suis sentie parfois très seule.
Mais je le comprends. Nous ne pouvons pas attendre des autres qu’ils soient là, tout le temps et même si nous avons nous-même dû mal à rebondir, nous ne pouvons pas leur demander de ne pas en faire autant, de ne pas passer à autre chose. Et puis nous prenons vite l’habitude de baigner dans toute cette attention et cette bienveillance, alors il est parfois difficile d’accepter qu’elle s’envole en un battement d’aile.
Encore aujourd’hui, bien que je me sente plutôt bien, plus forte, résiliente, la maladie m’a tout de même fragilisée. J’ai encore besoin d’un regard prévenant, de gestes attentionnés et de me sentir protégée.
Alors j’ai bien peur que la place d’aidant, bien qu’elle soit moins difficile aujourd’hui que durant la maladie soit un job à durée indéterminée…
The Kills - Doing it into the death
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